L’OMC est actuellement paralysée par des défis persistants, notamment la difficulté d’atteindre un consensus parmi ses membres et le gel de l’organe d’appel. Fonctionnant sur la base du consensus, il est bien difficile d’obtenir l’acceptation de ses 166 membres, sur de nouvelles politiques commerciales qui imposeront des restrictions aux pratiques existantes de certains pays. Quant à l’organe d’appel du mécanisme des règlements des différends, il est inopérant depuis que les États-Unis ont apposé leur veto à la nomination de nouveaux membres. Cette impasse a entravé les progrès, en particulier dans les négociations agricoles ou même parvenir à des avancées lors de la dernière conférence ministérielle (CM 13). À l’ouverture de la CM13 qui s’est tenue à Abu Dhabi du 26 février au 2 mars 2024, l’objectif était de faire adopter un plan de travail pour les négociations en agriculture, de mieux encadrer les restrictions à l’exportation et de faciliter la sécurité alimentaire. Bien que ces demandes étaient plutôt générales, un consensus n’a pu être obtenu parmi les États membres. Malgré les tentatives de réforme et les appels à l’action, les avancées restent limitées, laissant les discussions dans une impasse qui ralentit la dynamique de coopération et d’avancement.
Cependant, au milieu de cette stagnation, de nouvelles pistes d’avancement commencent à émerger timidement. Le récent texte présenté par le Brésil offre une feuille de route pour faire avancer les négociations agricoles bloquées entre autres par l’Inde et soutenue par des pays en voie de développement comme le Groupe Africain. Bien que controversée, cette initiative souligne la volonté de certains membres de trouver des solutions alternatives face à l’impasse actuelle d’un consensus inatteignable. En proposant un programme de travail pour les négociations agricoles jusqu’à la conférence ministérielle de 2026, le Brésil tente de contourner les obstacles institutionnels et de relancer le processus de négociation. À défaut d’avoir un plan de travail en agriculture adopté lors de la CM13, le Brésil a présenté son plan touchant tous les secteurs de la négociation en agriculture, sans prescrire les résultats autres que des échéanciers précis et ambitieux. Bien que touchant uniquement à l’agriculture, le Brésil a intentionnellement choisi de présenter son plan au Conseil Général de l’OMC, la plus haute instance décisionnelle avant les ministres, plutôt qu’au comité des négociations en agriculture, démontrant son intention de mettre de la pression sur les États membres.
De même, la proposition de Singapour sur le « consensus responsable » ouvre la voie à une réflexion sur la manière dont les décisions sont prises à l’OMC. En encourageant une approche plus réfléchie et collaborative, cette proposition pourrait contribuer à débloquer les négociations en favorisant une meilleure compréhension et coopération entre les membres. En soulignant la nécessité d’un consensus responsable plutôt que d’un veto injustifié, Singapour met en lumière les défis de gouvernance et de processus décisionnels auxquels est confrontée l’OMC. La vision de Singapour est de faciliter l’adoption de futures propositions et d’utiliser le veto qu’en cas d’entraves majeures sur les intérêts commerciaux d’un pays.
Dans l’avenir, l’OMC devra relever plusieurs défis pour revitaliser les négociations agricoles et renforcer son rôle dans le commerce mondial. Tout d’abord, il est impératif de surmonter les blocages institutionnels et les divisions entre les membres pour restaurer la confiance et promouvoir un dialogue constructif. La question du stockage public pour la sécurité alimentaire, du soutien interne ainsi que les restrictions à l’exportation sur les produits agricoles, ont toujours été au cœur des difficultés dans les négociations agricoles de l’OMC. Les pays en développement, tel que l’Inde, insistent sur le maintien de réserves alimentaires publiques à des prix administrés pour garantir la sécurité alimentaire. Cependant, les pays développés craignent que de tels programmes ne perturbent le commerce si des disciplines adéquates ne sont pas en place. L’échec à trouver une solution permanente sur ces questions met en lumière le défi de concilier la sécurité alimentaire avec l’équité commerciale.
De plus, de nouveaux enjeux liés aux réalités actuelles du changement climatique et de la durabilité pourraient s’ajouter aux difficultés de négociation entre les pays membres de l’OMC. En effet, l’enjeu de l’environnement et du changement climatique ne sont pas une priorité pour l’ensemble des pays et pas tous sont outillés de l’expertise nécessaire pour aborder ce type d’enjeu.
Enfin, une réforme de l’organe d’appel de l’OMC est nécessaire pour restaurer son efficacité et sa crédibilité. En rétablissant un mécanisme de règlement des différends fonctionnel, l’OMC peut garantir le respect des règles commerciales et offrir aux membres un moyen efficace de résolution. La réactivation de l’organe d’appel permettra de restaurer la confiance dans le système de règlement des différends de l’OMC et de renforcer la certitude juridique pour les acteurs du commerce mondial.
En conclusion, alors que l’OMC fait face à des défis majeurs, les récentes propositions du Brésil et de Singapour offrent des perspectives d’avancement timides mais concrètes dans les négociations agricoles. À cette fin, des représentants du GO5 se sont rendus à Genève en juin pour observer les avancements des dossiers agricoles à l’OMC afin de continuer les efforts de veille sur l’état des lieux du commerce mondial et de rencontrer les principaux intervenants dans les négociations agricoles.