Dans ses plus récents travaux sur l’entérite nécrotique (EN), Shayan Sharif aborde de deux façons différentes la maîtrise de cette maladie et de l’un de ses principaux agents étiologiques, Clostridium perfringens. Après avoir trouvé deux nouvelles souches de bactéries probiotiques et créé un nouveau vaccin contre l’EN, il espère combiner ces éléments et découvrir des synergies.
Le Dr Sharif, qui est professeur et doyen associé de la recherche et des études supérieures au Collège de médecine vétérinaire de l’Ontario (Université de Guelph), est l’un des chercheurs qui travaillent à trouver des substituts aux antibiotiques en production avicole au Canada. Pour ce faire, il dirige un vaste projet de recherche portant sur l’usage de microbes bénéfiques pour améliorer la santé de la volaille. « Nous savons que les infections bactériennes pathogènes sont moins susceptibles de se développer chez les oiseaux au tractus gastrointestinal en bonne santé », explique M. Sharif.
En gros, le but de son projet multidisciplinaire est de trouver des façons d’atténuer le risque d’EN en production de poulets à griller. Cette maladie est surtout préoccupante pour les poulets à griller, mais peut aussi toucher les pondeuses et éventuellement les dindons.
Le morceau que voudrait placer M. Sharif dans tout ce casse-tête porte sur l’usage de microbes bénéfiques (des probiotiques) dans l’intestin de la volaille, ainsi que sur la création éventuelle de meilleurs vaccins contre l’EN. Actuellement, aucun vaccin approuvé contre l’EN n’est enregistré au Canada.
On connaît déjà bien les probiotiques pour leur capacité à améliorer la santé intestinale, à stimuler l’immunité et à équiper les oiseaux de meilleures défenses contre les pathogènes. M. Sharif et son équipe de recherche ont commencé leur projet en isolant plus de 50 souches de lactobacilles, qui sont des microbes bénéfiques naturellement présents dans l’intestin de l’oiseau, et les ont examinées au laboratoire pour trouver lesquelles seraient les plus efficaces contre C. perfringens.
La première partie du projet consistait à évaluer, à l’aide de plusieurs souches différentes de lactobacilles, la capacité des microbes à réduire le risque d’infection par C. perfringens. « Il s’agit d’exploiter le mécanisme dont se servent les microbes pour réduire le risque de maladie », explique M. Sharif.
Les chercheurs ont administré le cocktail de probiotiques aux jeunes oiseaux par voie orale avant de les exposer à C. perfringens, puis ont mesuré la quantité de pathogènes présents dans l’intestin des oiseaux, en plus de la gravité de l’entérite nécrotique. « Nous avons découvert qu’en donnant des lactobacilles aux jeunes oiseaux avant leur exposition à C. perfringens, on obtenait une importante réduction de la quantité de C. perfringens de même qu’une importante réduction de la gravité clinique de la maladie », poursuit M. Sharif.
La deuxième partie du projet consistait à mettre au point un nouveau vaccin contre l’EN à essayer au laboratoire et dans un contexte semi-commercial à l’Arkell Research Station de l’Université de Guelph. « Comme avec tout vaccin, nous tentons de stimuler l’immunité contre la maladie en entraînant le système immunitaire de l’oiseau à réagir face à C. perfringens pour se protéger contre le pathogène. »
Pour mettre le nouveau vaccin contre l’EN à l’essai, les chercheurs l’ont administré à l’aide d’un microbe bénéfique différent (lactocoque). Comme les souches de lactobacilles utilisées dans le probiotique, le lactocoque est aussi un microbe bénéfique qu’on utilise pour l’administration de vaccins recombinants à plusieurs espèces, dont les mammifères et les oiseaux.
« Le lactocoque transporte sa cargaison d’antigènes contre C. perfringens jusque dans l’intestin de l’oiseau, puis finit par sortir de l’intestin. Mais nous avons découvert que ce mécanisme d’administration probiotique pouvait aussi avoir un effet bénéfique contre C. perfringens dans l’oiseau. »
Les chercheurs ont administré le vaccin vecteur à base de lactobacilles par voie orale à de jeunes oiseaux, puis les ont exposés à C. perfringens. Ils ont découvert que l’inoculation pouvait accroître la réponse immunitaire de l’oiseau pour le protéger contre l’EN, comme en témoigne une réduction mesurée des lésions intestinales et une amélioration de la muqueuse intestinale.
Les stratégies de maîtrise de l’EN ont donné des résultats semblables, encourageants dans les deux cas. « Nous avons découvert qu’il était effectivement possible de réduire le risque d’EN chez la volaille à l’aide de microbes bénéfiques et de vaccins, et les deux approches ont eu des résultats très comparables », souligne M. Sharif. Ces constatations serviront maintenant à la troisième et à la dernière parties de cette étude de cinq ans.
« Nous cherchons maintenant à savoir comment combiner les deux probiotiques utilisés séparément dans la première partie du projet – soit les lactobacilles dans le probiotique et le lactocoque dans le vaccin –, puis les envoyer dans l’intestin, pour ensuite voir s’il se développe une synergie entre eux qui multiplierait l’incidence de ces approches de maîtrise de l’EN, indique M. Sharif. Nous espérons trouver la réponse à cette partie-là du projet d’ici un an environ. »
On ignore pour l’instant quand des substituts aux antibiotiques comme ceux dont il est question ici seront en vente sur le marché. Shayan Sharif croit que son équipe et lui ont entre les mains deux produits sûrs et efficaces, l’un étant sous forme de microbe bénéfique, et l’autre, d’un vaccin.
« Nous avons testé nos produits en laboratoire, et la prochaine étape consisterait à les soumettre à des essais commerciaux. Mais, rappelle M. Sharif, il faut de l’intérêt de la part de l’industrie pour que les prochaines étapes vers la commercialisation se mettent en marche. »
L’un des résultats heureux de la pandémie de COVID aura été le temps qu’il faut pour mettre en marché un nouveau vaccin. « Si l’on se fie aux vaccins contre la COVID, l’arrivée d’un nouveau vaccin sur le marché pourrait se compter en mois plutôt qu’en années, comme c’était le cas avant la pandémie », entrevoit le chercheur.
Compte tenu de tous les essais qu’il a réalisés avec son équipe sur ses nouvelles méthodes de réduction du risque lié à l’EN causée par C. perfringens, il espère que les producteurs n’auront pas à attendre des années avant de pouvoir se procurer ces produits.
L’EN est une maladie aux nombreuses causes fondamentales. Au-delà de la présence de C. perfringens, de nombreux facteurs entrent en jeu, comme la présence d’autres pathogènes, des composants alimentaires comme un taux élevé de protéines, de même que la génétique de l’oiseau. « Je commence à mieux comprendre à quel point cette maladie est complexe, souligne M. Sharif. Nous ne parviendrons jamais à enrayer l’EN, mais nous allons trouver une façon de mettre au point une meilleure stratégie pour atténuer son risque pour l’industrie avicole. Peut-être que la bonne solution sera les produits que nous avons créés, ou encore une combinaison de traitements. »